31 Mag 2025, Sab

Problèmes personnels, école et travail : quelle place leur accorder ?

22 Views

Lorsque le rendement change, et que personne ne veut se demander pourquoi

Il arrive que quelqu’un autour de nous change. Cela ne se produit pas brusquement, mais par petites étapes. Une présence plus fatiguée, une attention qui s’effiloche, une participation autrefois active qui devient incertaine. Dans les contextes scolaires et professionnels où les rythmes sont soutenus et les attentes claires, ces signaux sont rarement accueillis avec curiosité ou bienveillance. La réponse la plus fréquente est souvent une phrase qui ferme la discussion : « Je comprends qu’il ou elle traverse une période difficile, mais nous avons tous nos problèmes. »

Ceux qui prononcent ces mots ne le font pas toujours avec dureté. C’est souvent une défense, ou une manière d’écarter ce qu’on ne sait pas gérer. Parfois, c’est aussi l’expression d’une culture de la performance où la fatigue est perçue comme une faiblesse, et la faiblesse comme un risque de contamination. Mais derrière cette phrase se cache une idée implicite : que toutes les difficultés sont comparables, mesurables, surmontables avec les mêmes moyens. Comme si le fait d’avoir réussi à traverser une épreuve nous autorisait à exiger que les autres fassent de même.

Et pourtant, nous ne partons pas tous du même point. Nous n’avons pas les mêmes ressources, les mêmes soutiens, la même capacité à demander de l’aide. Ce qui, pour l’un, peut sembler une pause temporaire, peut devenir, pour un autre, une véritable rupture. Ce qui manque souvent dans ce raisonnement, c’est la reconnaissance de la diversité.

Les signes silencieux de l’épuisement

Dans la formation en soins, ces signes apparaissent tôt. Encore faut-il être prêt à les voir, à prendre le temps de les observer. Un·e étudiant·e jusque-là ponctuel·le, attentif·ve, impliqué·e, commence à arriver en retard. Le matériel est incomplet, la concentration baisse. Les notes chutent, les remarques se multiplient, les enseignant·e·s s’interrogent : « Il n’est plus comme avant. » Mais rarement quelqu’un pose la vraie question.

Prenons le cas d’un étudiant brillant, assidu, fiable. Un jour, il arrive fatigué, le regard fuyant, les gestes lents. Lorsqu’il finit par parler, il évoque un harcèlement : une ex-compagne intrusive, des messages incessants, des menaces, des visites imprévues. Il ne dort plus depuis des semaines. Il continue pourtant à venir en cours, car c’est, paradoxalement, le seul endroit où il ressent un semblant de stabilité.

Dans mon service, une collègue enceinte a connu une situation semblable. Accueillie au début avec des sourires, elle a ensuite été isolée par les remarques : « Il faut tout faire à sa place », « Elle ne tient même pas debout », « Encore des excuses. » Plus personne ne lui demandait comment elle allait, seulement si elle pouvait faire ceci ou cela. Chaque limite était perçue comme une fuite. Et pourtant, elle faisait tout pour être là, pour ne pas déranger. Mais dans certains milieux, mieux vaut être absent·e qu’imparfaitement présent·e.

Un autre cas, moins visible mais tout aussi lourd, est celui d’un collègue devenu distrait, moins rigoureux, parfois absent. On a commencé à dire qu’il n’était plus motivé. Ce n’est qu’après plusieurs semaines qu’on a appris que son enfant était atteint d’un cancer. Il jonglait entre les soins à l’hôpital et son poste, tentant de tout préserver. Il n’en parlait pas, par pudeur ou par peur d’être jugé incompétent. Et pendant ce temps, il portait seul un poids écrasant, tout en subissant le regard des autres.

Quand la vérité oblige à changer de regard

Dans ces situations, arrive un moment où les explications faciles ne suffisent plus. La vérité s’impose, avec douceur ou brutalité, et nous oblige à reconsidérer notre point de vue. Un document médical, un certificat psychiatrique, un aveu sur la maladie d’un proche viennent balayer nos jugements. Ce que nous avions réduit à un manque d’engagement se révèle bien plus profond.

À ce moment-là, un choix s’offre à nous. Continuer comme si de rien n’était, nous retrancher derrière le règlement et les exigences communes, ou bien revoir notre posture. Reconnaître que notre rôle, en tant que formateur·trice ou collègue, ne consiste pas seulement à transmettre des compétences, mais aussi à créer un espace où la complexité humaine puisse être reconnue.

Quand le soin commence dans la salle de classe

Dans l’enseignement des professions de la santé, notre crédibilité dépend aussi de notre manière de traiter celles et ceux qui vacillent. On ne peut pas enseigner l’empathie tout en l’ignorant dans les couloirs. On ne peut pas exiger des futurs soignants qu’ils soient à l’écoute si nous ne savons pas écouter ceux qui s’effondrent sous nos yeux.

Oui, il y a un risque que quelqu’un abuse de notre confiance. Mais ces récits fabriqués s’effondrent d’eux-mêmes. Les vraies détresses, elles, sont cohérentes dans les détails. Elles s’expriment à voix basse, avec honte parfois, et s’accompagnent d’un effort désespéré pour continuer malgré tout.

Être reconnu dans ces moments ne s’oublie pas. Et souvent, c’est ce point d’appui qui permet de repartir.

La leçon la plus difficile : être vraiment là

Chaque choix de présence laisse une trace, même si elle n’est pas immédiate. Les étudiant·e·s nous observent, les collègues aussi. À travers notre comportement face à la fragilité, c’est la culture de tout un groupe qui se façonne.

Être exigeant ne signifie pas être aveugle. Accorder de la valeur à quelqu’un qui trébuche, c’est montrer que cette valeur ne dépend pas uniquement de sa productivité.

Pas de tolérance, mais un choix

La question n’est pas combien de fragilité nous pouvons supporter. Elle est de savoir quel espace nous voulons construire. Un lieu où chacun·e doit cacher ses faiblesses pour être accepté·e, ou un lieu où il est possible de se dire, même dans le doute, même dans la chute ?

Celui ou celle qui reçoit une main tendue dans la tempête ne l’oubliera pas. Et c’est souvent cette même personne qui, un jour, tendra la main à quelqu’un d’autre.

Former des soignants, c’est commencer par soigner nos relations. Et c’est dans notre manière d’accueillir l’ombre que nous transmettons, vraiment, ce que signifie prendre soin.

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *