Un mot qui dérange, mais qui nomme juste
Dans le secteur des soins, le mot mobbing met mal à l’aise. Trop dur pour certains, trop vague pour d’autres. Pourtant, il décrit bien des situations réelles, parfois quotidiennes : exclusions silencieuses, critiques récurrentes, dénigrement subtil mais systématique. Ce ne sont pas des conflits de travail classiques, mais des stratégies plus ou moins conscientes qui visent à marginaliser une personne.
Selon la SECO et l’Inspection du travail du canton du Tessin, le mobbing est une atteinte à l’intégrité personnelle, constituée de comportements hostiles, répétés et prolongés, souvent destinés à nuire, exclure ou déstabiliser quelqu’un. Dans les soins, ces dynamiques sont d’autant plus destructrices que le quotidien est déjà marqué par la charge émotionnelle et le peu d’espace pour se défendre.
Le mobbing peut être horizontal, lorsqu’il est exercé par des collègues du même niveau (infirmier contre infirmier, assistant contre assistant), ou vertical, lorsqu’il vient d’un supérieur hiérarchique. Le premier agit souvent en sourdine, dans les relations de tous les jours. Le second utilise le pouvoir et l’autorité pour imposer une pression constante.
Les cinq visages du mobbing
Le psychologue Heinz Leymann a identifié cinq grandes catégories d’actes de mobbing, toutes observables dans les institutions de soins :
- Atteintes à la communication : interrompre systématiquement un collègue, ignorer ses messages ou faire comme s’il n’existait pas pendant la transmission des soins.
- Atteintes aux relations sociales : exclure une personne des pauses, des repas ou des moments informels, la laisser seule face au reste du groupe.
- Atteintes à l’image sociale : se moquer d’un collègue, le ridiculiser, propager des rumeurs ou des surnoms péjoratifs.
- Atteintes au rôle professionnel : retirer des responsabilités sans explication, confier des tâches absurdes ou dévalorisantes, fixer des objectifs intenables.
- Atteintes à la santé : surcharger intentionnellement en heures ou en patients, refuser les congés de récupération, exposer à des situations stressantes sans soutien.
Et puis, il y a les cas plus sournois. Comme ce collègue qui, irrité par un autre, le signale continuellement à la hiérarchie pour des détails sans importance. Pas pour améliorer la qualité, mais pour l’affaiblir. Il invoque le professionnalisme, mais poursuit une mise à l’écart.
Quand le contrôle devient un système
Parfois, le mobbing n’est pas un accident, mais une méthode. Il devient une forme implicite de gestion, une façon de faire respecter les règles par la peur. On parle alors de mobbing institutionnalisé.
Cela se manifeste par des convocations fréquentes pour des banalités, la tenue de fichiers d’erreurs sans accompagnement, des avertissements utilisés comme menace plus que comme outil pédagogique. Certaines directions organisent des visites surprises uniquement pour “attraper en faute”, et non pour comprendre ou améliorer.
D’autres récoltent des témoignages à charge sans jamais permettre un dialogue. On sanctionne plus qu’on ne guide. On isole ceux qui osent poser des questions. Ce n’est plus un excès ponctuel : c’est une méthode de gestion basée sur la méfiance.
Quand l’institution laisse faire, elle perd tout
Les conséquences du mobbing dépassent la personne ciblée. Un climat toxique affecte toute l’équipe. La SECO et l’Inspection du travail relèvent que les institutions qui ferment les yeux sur ces pratiques subissent des absences accrues, une rotation du personnel importante, une baisse de qualité et des risques juridiques accrus.
Dans les soins, cela se traduit par des erreurs évitables, des soignants en retrait, une prise en charge fragmentée. Les jeunes professionnels fuient ces environnements. Ceux qui restent s’éteignent à petit feu. Le coût est humain, mais aussi organisationnel.
Construire une alternative crédible
Lutter contre le mobbing ne signifie pas seulement punir les fautes. Cela passe d’abord par une culture de prévention. Chaque institution devrait disposer de directives claires, désigner des personnes de confiance formées, définir des voies de signalement sûres, et surtout instaurer un climat de respect et d’écoute.
Ce travail est exigeant, mais rentable. Un lieu de soins bienveillant est plus stable, plus performant, plus attractif. C’est un lieu où l’erreur devient un levier d’amélioration, pas une arme. Où les équipes coopèrent au lieu de s’observer.
L’obligation légale existe : l’article 6 de la Loi sur le travail oblige les employeurs à protéger l’intégrité du personnel. Mais avant même la loi, il y a une exigence éthique : celle de ne pas confondre autorité et domination.
Qui y gagne, vraiment ?
Certains pensent que le mobbing permet de “remettre de l’ordre”, d’écarter les faibles, d’imposer la discipline. Mais est-ce vraiment rentable de créer des services où la peur prend le dessus, où les soignants se taisent, se protègent, s’isolent ?
Un environnement où l’humiliation est normalisée n’engendre pas de la compétence, mais de la survie. Le personnel ne se développe pas, il se replie. Les patients ne sont pas écoutés, ils sont simplement traités. Et les meilleurs talents, s’ils le peuvent, s’en vont.
Alors la question revient, plus vive encore que dans le titre :
À qui sert encore le mobbing ?