Ces jours où tu te sens à côté
Au début, travailler dans un service, c’est comme entrer dans un monde qui a déjà ses règles, ses codes, son rythme, pendant que toi, tu essaies encore de comprendre où tu es tombé. Ceux qui t’entourent bougent avec une aisance déconcertante, comme si tout allait de soi, alors que toi, tu observes, tu imites, tu demandes, en espérant ne pas déranger. Même les pauses ont leurs habitudes, que personne n’explique mais que tout le monde semble maîtriser.
Dans cette phase, chaque geste te coûte une double énergie : il faut à la fois faire et comprendre. Tu avances avec prudence, tu préfères ne pas trop parler, tu n’interviens que quand c’est sûr. Ce n’est pas de la peur, c’est une façon naturelle de s’adapter quand on sait qu’on est observé sans vraiment être intégré.
Puis, peu à peu, tu te rends compte que ce sentiment d’être étranger n’est pas une erreur : c’est une étape. On ne trouve pas sa place sans traverser d’abord ce moment d’incertitude. Et c’est justement ce passage, inconfortable mais essentiel, qui commence à dessiner ta manière d’exister dans l’équipe.
Quand tu ne te demandes plus si tu fais bien
Un jour, tu remarques que tu travailles sans devoir surveiller tous tes faits et gestes. Les mouvements deviennent plus naturels, pas automatiques, mais fluides. Et même si quelque chose dérape, tu gardes ton calme. Tu ne paniques pas, tu ajustes. Tu as appris à te faire confiance, au moins un peu.
Les situations difficiles te semblent plus claires. Tu sais quoi faire, tu ne cherches plus la validation à chaque pas. Ce n’est pas que tout est devenu simple, c’est que toi, tu es plus solide. Tu vois les choses avant qu’elles ne débordent. Tu anticipes, tu ne réagis plus juste pour tenir bon.
Et le soir, tu termines ton service sans te sentir vidé. Tu es fatigué, mais pas démoralisé. Tu ne passes plus tes soirées à douter. Ce que tu vis maintenant, c’est une sorte de stabilité intérieure. Rien de spectaculaire, mais tu sens que ça tient.
Les autres ne te félicitent pas, mais ils comptent sur toi
Il n’y a pas de diplôme pour la confiance. Mais tu commences à voir les signes. Une collègue te demande ton avis, un patient t’attend, un responsable te donne plus d’autonomie. Pas besoin de mots. Ça se voit dans les regards, dans la place qu’on te laisse.
La confiance, ce n’est pas des compliments, c’est l’espace qu’on t’accorde. On t’intègre dans les décisions, on ne te corrige plus à chaque détail, on suppose que tu sauras gérer. Tu n’as rien réclamé, mais tu es là, et on te fait une place.
Et tu réalises que tu ne cours plus après l’approbation. Tu es devenu quelqu’un sur qui on peut compter. Pas parce qu’on te l’a dit, mais parce que tu le vis. Jour après jour, sans en faire trop, tu es devenu quelqu’un de fiable.
Tu commences à choisir comment être présent
Tu n’agis plus seulement pour faire ce qu’il faut. Tu commences à choisir comment tu le fais. Le ton, le moment, la manière. Tu comprends que soigner, ce n’est pas juste exécuter, c’est aussi incarner. Tu ne fais plus juste bien, tu fais juste.
Tu parles moins, mais mieux. Tu observes davantage. Tu sais quand être là et quand s’effacer. Tu ne remplis pas l’espace, tu l’habites. Et même ton silence devient soin. Ce n’est plus l’urgence qui guide tes gestes, c’est l’attention.
Tu n’imites plus personne, tu ne forces rien. Ce que tu donnes est cohérent avec ce que tu es. Tu ne te sur-adaptes plus. Tu tiens ton rôle avec une présence qui te ressemble. Et c’est là que tu te rends compte que tu as trouvé ta manière d’exister dans ce métier.
Tu n’as pas fini d’apprendre, mais tu n’es plus perdu
Tu n’as pas atteint la fin du chemin, et peut-être qu’il n’y en a pas. Mais tu sais que tu ne flottes plus. Tu ne fais plus semblant. Tu apprends encore, mais tu avances avec appui. Tu n’as plus besoin d’une réussite parfaite à chaque geste. Tu fais du mieux que tu peux, avec ce que tu sais, et tu le fais avec honnêteté.
Tu sais où tu peux demander de l’aide, et où tu peux en offrir. Tu ne portes plus seul l’envie de tout bien faire. Tu sais dire non quand c’est nécessaire, tu sais tenir sans t’épuiser. Tu n’as pas besoin d’être irréprochable. Tu sais être là, et c’est assez.
Et si tu lis ce texte en te reconnaissant, ne cherche pas plus loin. Tu n’es peut-être pas encore expert, mais tu es devenu un professionnel. Quelqu’un de stable, sur qui on peut compter. Même si personne ne te l’a encore dit.